Version modernisée de l’Épître au roi, de Jean Calvin

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Au moment où Jean Calvin rédige cette Épître (1535-1536), la France connaît de fortes tensions religieuses. Les « nouveaux réformés » sont alors traqués par les autorités, et Calvin s’adresse directement au roi François Ier pour plaider la cause protestante. Il cherche à obtenir une audience équitable, convaincu que la persécution provient surtout d’accusations mensongères et de calomnies propagées par ceux qui refusent toute réforme de l’Église.

Dans la lettre, Calvin insiste sur la conformité de sa doctrine avec l’Évangile, nie tout esprit de révolte et souligne au contraire l’importance de respecter le pouvoir royal. Il souhaite une évaluation objective de sa foi, car il estime que la vraie religion, loin de susciter le désordre, porte à l’obéissance légitime. L’Épître tente ainsi de convaincre François Ier que les réformés ne sont pas des ennemis de la Couronne, mais de simples chrétiens fidèles à Dieu et respectueux du roi.

Au Très puissant et très illustrissime monarque François, Roi de France, son souverain

Sire,
Si j’osais d’emblée me recommander à votre Majesté, ce n’est pas parce que j’estime avoir quelque dignité pour l’oser, mais parce que la situation même m’y contraint. En effet, en voyant tant de mensonges et de calomnies se répandre au sujet de la doctrine que je défends, et la fureur de certains qui, les yeux fermés, voudraient tout anéantir, je n’ai pas trouvé de meilleur moyen pour arrêter un tel débordement de haine que de m’adresser à votre Majesté.

Je ne le fais point pour me rendre agréable, mais afin que, par votre autorité, la vérité ait libre accès en votre royaume, qui est pour moi une chose infiniment précieuse. Beaucoup, Sire, vous ont rapporté, et rapportent encore chaque jour, que cette doctrine que l’on appelle aujourd’hui la « nouvelle secte » n’est qu’une semence de révolte et de troubles, qu’elle conspire à renverser toute autorité, et qu’elle se plait au désordre et aux tumulte1. Mais je vous supplie très humblement de ne pas vous fier à ces mauvaises langues, sans avoir daigné d’abord entendre ce que nous avons à dire pour notre défense.

Car il est certain que nos adversaires ne s’embarrassent pas de la vérité : ils cherchent à vous gagner par la violence de leurs accusations. Ils espèrent que, sans examen, vous prêterez l’oreille à leurs calomnies ; et ainsi, dans l’ombre, ils pourront consumer par le feu la saine doctrine, sans qu’il leur en coûte grand effort.

Mais je mets en avant, Sire, deux raisons qui vous persuaderont peut-être de nous accorder audience. La première, c’est l’honneur de Dieu, qui est tellement lié à la défense de cette cause que vous ne sauriez le séparer. En effet, cette parole que nous prêchons n’est pas la nôtre, mais celle du Dieu vivant, c’est l’Évangile de Jésus-Christ, dont nous affirmons hautement être les ministres. Et si cette prétention est vraie, nous pécherions tous, moi le premier, et vous, Sire, en second lieu, si nous ne faisions pas tout pour la défendre.

La seconde raison, c’est l’intérêt même de votre royaume. Voyez, Sire, si l’on cherche à vous tromper : on vous fait croire que cette doctrine est ennemie de l’ordre public, qu’elle attaque les droits de la couronne, et qu’elle dresse les sujets contre leurs princes. Pourtant, qui plus que nous défend le devoir d’obéissance que l’on doit aux rois et aux magistrats2 ? Qui plus que nous confesse que toute autorité vient de Dieu et doit être respectée comme un don du ciel ? Certainement pas ceux qui nous accusent, car ils préféreraient user de la force pour imposer leurs abus, plutôt que de gouverner selon la justice.

Ainsi, Sire, je vous conjure de ne point juger cette cause avant d’en avoir appris le contenu. Vous êtes le roi, vous avez droit de vie et de mort sur nous. Qui plus est, vous avez la justice pour règle de votre sceptre, et Dieu vous a établi comme juge suprême de vos sujets. À quel tribunal ferions-nous appel si vous nous condamnez sans nous entendre ?

Il est vrai que nous ne sommes ni grands seigneurs, ni puissants, ni riches dans ce monde. C’est sans doute pour cela que l’on se donne moins de scrupules à nous opprimer. Mais souvenez-vous, Sire, que les vrais serviteurs de Dieu ont toujours été persécutés, et qu’ils n’ont jamais eu grand crédit parmi les hommes. Que les gentils, les païens, les hérétiques3 même, aient accusé les prophètes et les apôtres, cela ne nous étonne point. Mais qu’aujourd’hui encore on veuille user de la même injustice, lorsque la vérité a déjà resplendi, voilà qui doit nous émouvoir.

Je ne nie pas que certains, parmi nous, aient pu paraître semer le trouble en essayant de s’opposer aux superstitions ; mais faut-il pour autant taxer de rébellion toute la communauté qui s’efforce de servir Dieu selon l’Écriture ? Faut-il punir comme séditieux ceux qui exhortent à n’obéir qu’à Dieu en conscience, tout en rendant à César ce qui lui est dû ?

Qu’on examine la doctrine, Sire, et si elle est trouvée contraire à la parole de Dieu, alors qu’on la rejette et qu’on la condamne. Mais s’il s’avère qu’elle n’est autre que la doctrine de Jésus-Christ, présentée par ses apôtres et transmise par ses fidèles serviteurs, alors qu’on cesse de nous pourchasser, et qu’on ne prive plus le peuple de ce divin trésor.

Il n’est pas juste que nous soyons jugés avant même que votre Majesté ait daigné entendre notre défense. Je ne doute pas un instant que, si vous prenez la peine d’écouter ou de lire notre doctrine, votre esprit équitable en reconnaîtra la sincérité et la vérité. Et ainsi vous verrez que ceux qui se lèvent contre nous le font à cause de la haine qu’ils portent à la vérité même de Dieu.

En effet, Sire, il suffit à nos ennemis de dire que nous sommes hérétiques, schismatiques, perturbateurs de la société et semeurs de révoltes. Mais ils ne produisent aucune preuve, ils ne font que crier et vociférer. S’ils avaient le moindre argument solide, ils s’empresseraient de le mettre en avant. Cependant, tout ce qu’on entend, ce sont les injures, la violence et la diffamation.

Mais la vérité de Dieu, Sire, luit de son propre éclat et ne craint aucun examen. Qu’on nous accuse, si on le veut, d’être des trompeurs et des imposteurs ; mais qu’on daigne d’abord écouter ce que nous avons à dire, qu’on lise nos écrits, qu’on confronte notre enseignement avec la loi et les prophètes, et avec l’Évangile de Jésus-Christ. Si ensuite on découvre que nous enseignons autre chose que la pure parole de Dieu, personne ne devra s’opposer à notre condamnation. Mais si l’on reconnaît que nous combattons pour la vérité, je supplie votre Majesté d’empêcher que, dans votre royaume, le Nom de Dieu ne soit blasphémé par ceux qui persécutent injustement la foi chrétienne.

Cependant, certains argumentent que ce qui importe, c’est de maintenir la paix et d’éviter tout changement. Je répondrai que rien n’est plus nuisible à la paix que de combattre Dieu et sa Parole : car un royaume ne peut être solidement établi que sur la vérité. Les fausses religions, les superstitions et les abus n’ont jamais donné la paix durable à aucune nation. Seule la lumière de l’Évangile apporte l’ordre, la justice et la vertu parmi les hommes.

J’entends déjà les clameurs de ceux qui diront que tout cela n’est que tromperie, que nous abusons de belles paroles pour nous faire passer pour des gens de bien. Mais, Sire, il n’y a qu’un moyen de trancher la question : c’est d’écouter la cause, de considérer les preuves, et de juger selon la droite raison, éclairée par la parole de Dieu. Or, nous nous offrons bien volontiers à cette épreuve, sûrs de la justice de notre cause.

Que si, par malheur, votre Majesté refusait de nous entendre, et qu’elle livrât ce pauvre troupeau à la merci de loups voraces, nous n’aurions plus d’appui que Dieu seul, qui soutient toujours les siens, même au milieu de la persécution. Et nous savons que Dieu, un jour ou l’autre, demandera compte à tous ceux qui auront méprisé sa vérité.

Je suis conscient, Sire, que ma voix est bien faible, et que mes paroles ne pèsent guère au regard du monde. Je ne suis qu’un parmi tant d’autres, et de surcroît je suis sans nom, sans fortune, sans appui humain. Mais mon espérance est que Dieu, qui sait faire valoir sa cause mieux que nous, touchera votre cœur et vous amènera à protéger ce qui lui appartient.

Ne jugez pas, Sire, les choses à la manière des hommes, c’est-à-dire selon les apparences de grandeur et de puissance. Souvenez-vous de l’exemple de Jérémie4, qui, bien qu’étant rejeté de presque tous, n’en demeurait pas moins prophète du Très-Haut. Souvenez-vous de Jean-Baptiste, qui, du fond de son désert, était plus grand que tous les docteurs de son temps, car il annonçait le salut de Dieu.

Nous ne sommes ni prophètes ni apôtres, mais nous annonçons le même Évangile, et nous avons la même foi qu’eux. Ne laissez pas les calomnies des méchants vous convaincre du contraire. Souvent, l’ennemi du genre humain a fait accuser les serviteurs de Dieu de semer le trouble, alors qu’ils travaillaient à l’édification de l’Église et à la réformation des mœurs.

Au reste, Sire, nous professons hautement que nous devons obéir aux lois et nous soumettre à l’autorité légitime, et nous prions Dieu chaque jour pour la prospérité de votre règne. Que le monde dise ce qu’il veut, nous n’avons point d’autre désir que de vivre paisiblement sous votre sceptre, et, par-dessus tout, d’adorer Dieu en esprit et en vérité, selon ce que sa Parole nous enseigne.

Vous est-il difficile de croire qu’on puisse être à la fois fidèle serviteur de votre Majesté et zélé ministre de Jésus-Christ ? Pour notre part, nous pensons qu’il n’y a aucune incompatibilité, car l’autorité royale vient de Dieu, et celui qui honore Dieu ne peut manquer d’honorer aussi son roi. Nous ne sommes pas comme ces factieux qui voudraient tout détruire et se servir du nom de Dieu pour cacher leurs desseins ambitieux.

Sachez, Sire, que vous ne trouverez pas de sujets plus obéissants que ceux qui craignent Dieu réellement. Car la crainte de Dieu est le commencement de la sagesse, et toute sagesse conduit à la justice et à la modération. Les mutins, les rebelles, ceux qui s’agitent contre vous, n’ont jamais été formés à l’école de Jésus-Christ ; ils trouvent dans leur orgueil et leur cupidité l’aliment de leur révolte, non dans l’Évangile.

Voilà pourquoi je vous supplie, Sire, de ne point rejeter notre cause, sous prétexte qu’on vous la dépeint comme dangereuse. Allez à la source, regardez aux Écritures, écoutez ceux qui vous les prêcheront fidèlement. Et si vous reconnaissez que c’est bien la Parole de Dieu, alors commandez que chacun la respecte et la suive. Si, au contraire, vous jugez que c’est une imposture, alors extirpez-la de votre royaume, afin qu’elle ne vous nuise pas plus longtemps.

Mais nous sommes assurés que vous ne trouverez en elle ni mensonge, ni séduction. C’est pourquoi, après avoir fait cet exposé général, je mets entre vos mains, Sire, mon Institution de la religion chrétienne, afin que vous jugiez vous-même de tout ce que nos adversaires nous reprochent. Là, vous verrez clairement quelle est notre confession de foi, et si l’on peut y découvrir quelque enseignement hostile à votre autorité ou à la tranquillité publique.

Je prie Dieu, Sire, qu’il vous éclaire de son Esprit, pour que vous discerniez la vérité de l’erreur, qu’il dirige votre cœur en toute droiture, et qu’il fasse prospérer votre règne dans une juste et sainte paix.

Bâle, le 1er Août 1535

Source : Jean Calvin, L’Institution de la religion chrétienne, Genève, Labor et Fidès, 1955. Les archaïsmes et la modernisation du texte ont été réalisés à l’aide de ChatGPT o1 (raisonnement avancé).

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"Dingue" de Jésus, en chemin avec Lui depuis 34 ans, pionnier du web chrétien depuis 25 ans, père de 6 enfants, Nicolas habite en région bordelaise. Il est connu pour ses blogs d'investigation, ses interviews sans concession et ses chroniques radio conservatrices.

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