Madame Guyon, née Jeanne-Marie Bouvier de La Motte en 1648 à Montargis, fut une figure majeure de la spiritualité chrétienne du XVIIe siècle. Très jeune, elle ressent un profond attrait pour Dieu, marqué par une quête d’union mystique. Mariée à 16 ans à un homme plus âgé, elle traverse de nombreuses épreuves familiales qui renforcent son abandon total à la Providence divine. Devenue veuve à 28 ans, elle se consacre entièrement à une vie de prière, développant une spiritualité centrée sur l’abandon total à la volonté divine et l’expérience intérieure de Dieu, qu’elle nomme « prière de quiétude. »
Ses écrits, dont Le Moyen Court et la Prière Simple (à télécharger en fin d’article), diffusent ses idées de communion directe avec Dieu, sans intermédiaire humain. Cependant, ses enseignements sur la mystique, influencés par le quiétisme, suscitent des controverses théologiques. Emprisonnée à plusieurs reprises, notamment à la Bastille, elle demeure fidèle à sa vision d’une foi intime et universelle. Ses œuvres continuent d’inspirer ceux qui cherchent une relation personnelle avec Dieu au-delà des formes extérieures de la religion.
Emprisonnée pendant 10 ans
Mme Guyon fut emprisonnée 10 ans, à cause de la jalousie du clergé. On l’avait accusée d’être une sorcière, d’être adultère. Elle avait supporté, non seulement avec courage et dignité, mais presque avec allégresse, contente de souffrir pour sa cause, les séjours à la Bastille et à la prison de Vincennes. Dans ce château de Vincennes elle composait pour se distraire de petits poèmes pieux qui ressemblent à des chansons.
« Je faisais, raconte-t-elle, des cantiques que la fille qui me servait apprenait par cœur à mesure que je les faisais et nous chantions vos louanges, ô mon Dieu ! Je me regardais comme un petit oiseau que vous teniez dans une cage pour votre plaisir et qui devait chanter pour remplir son état » :
Je chante tout le jour,
Seigneur, c’est pour te plaire.
Mon extrême misère
Augmente mon amour.
N’ayant point d’autre affaire,
Je chante tout le jour.
Tu l’entends, mon Seigneur,
Cet amoureux langage
Ignoré du faux sage,
Goûté du chaste cœur,
L’amour a son ramage :
Tu l’entends, mon Seigneur.
On ne vient pas à bout facilement de ces âmes chantantes et légères, toujours prêtes à ‘s’envoler. Libérée’ enfin d’une détention qui, d’ailleurs, ne fut jamais trop pénible, Mme Guyon avait été autorisée à se fixer sur une terre de sa fille,- la duchesse de Sully, près de Blois où elle mourut le 9 juin 1717, réhabilitée dans-ses mœurs, non dans sa doctrine, par l’assem- blée du clergé de 1700, après des perquisitions à domicile, l’in- terrogatoire de ses deux femmes de chambre et de multiples enquêtes menées par des juges différents. Dans son testament, elle proteste encore de la sincérité de sa foi et de son innocence morale.
Extrait de Revue des Deux Mondes. Madame Guyon avant Fénélon. (PDF)
Avertissements aux pasteurs et aux prédicateurs
1. Si tous ceux qui travaillent à la conquête des âmes tâchaient de les gagner par le cœur, les mettant d’abord en oraison et en vie intérieure, ils feraient des conversions infinies et durables. Mais tant que l’on ne s’y prend que par le dehors et qu’au lieu d’attirer les âmes à Jésus-Christ, par l’occupation du cœur en Lui, on les charge seulement de mille préceptes pour les exercices extérieurs, il ne se fait que très peu de fruit et il ne dure pas.
Si les curés de la campagne avaient le zèle d’instruire de cette sorte leurs paroissiens, les bergers, en gardant leurs troupeaux, auraient l’esprit des anciens anachorètes ; et les laboureurs, en conduisant le socle de leurs charrue, s’entretiendraient heureusement avec Dieu ; les manœuvres qui se consument de travail en recueilleraient des fruits éternels. Tous les vices seraient bannis en peu de temps, et tous leurs paroissiens deviendraient spirituels.
2. Ha, quand le cœur est gagné, tout le reste se corrige aisément ! C’est pourquoi Dieu demande principalement le cœur. On retrancherait par ce seul moyen les ivrogneries, les blasphèmes, les impudicités, les inimitiés, les larcins, qui règnent ordinairement parmi les gens de la campagne. Jésus-Christ régnerait paisiblement partout et la face de l’Église se renouvellerait en tout lieu.
Les hérésies sont entrées dans le monde par la perte de l’intérieur. Si l’intérieur était rétabli, elles seraient bientôt ruinées. L’erreur ne s’empare des âmes que par le manquement de foi et de prière. Si on apprenait à nos frères égarés à croire simplement et à faire oraison, au lieu de disputer beaucoup avec eux, on les ramènerait doucement à Dieu.
O pertes inestimables, que celles qui se font en négligeant l’intérieur ! O quel compte les personnes qui sont chargées des âmes n’auront-elles pas à rendre à Dieu, pour n’avoir pas découvert à tous ceux qu’ils servent par le ministère de la parole, ce trésor caché !
3. On s’excuse sur ce que l’on dit qu’il y a du danger dans ce chemin, ou que les gens simples sont incapables des choses de l’Esprit. L’oracle de la vérité nous assure du contraire : Le Seigneur (dit-il) met son affection en ceux qui marchent simplement. Mais quel danger peut-il y avoir à marcher dans l’unique voie qui est Jésus-Christ, se donnant à Lui, Le regardant sans cesse, mettant toute sa confiance en sa grâce et tendant de toutes nos forces à son plus pur amour ?
4. Loin que les simples soient incapables de cette perfection, ils y sont même plus propres. Parce qu’ils sont plus dociles, plus humbles et plus innocents, et que, ne raisonnant pas, ils ne sont pas tant attachés à leurs propres lumières. Étant de plus sans science, ils se laissent mouvoir plus aisément à l’Esprit de Dieu. Au lieu que les autres, qui sont gênés et aveuglés par leur propre suffisance, résistent beaucoup plus à l’inspiration divine.
Aussi Dieu nous déclare que c’est aux petits qu’Il donne l’intelligence de sa loi. Il nous assure encore qu’Il aime à converser familièrement avec les simples. Le Seigneur garde les simples : J’étais réduit à l’extrémité, et Il m’a sauvé. Que les pères des âmes prennent garde de ne pas empêcher les petits enfants d’aller à Jésus-Christ. Laissez venir (dit-Il à ses apôtres) ces petits enfants, car c’est à eux qu’appartient le Royaume des Cieux. Jésus-Christ ne dit cela à ses apôtres que parce qu’ils voulaient empêcher les enfants d’aller à Lui.
5. Souvent on applique le remède au corps et le mal est au cœur. La cause pour laquelle on réussit si peu à réformer les hommes, surtout les gens de travail, c’est que l’on s’y prend par le dehors et que tout ce que l’on y peut faire passe aussitôt. Mais si on leur donnait d’abord la clef de l’intérieur, le dehors se réformerait ensuite avec une facilité toute naturelle.
Or cela est très aisé. Leur apprendre à chercher Dieu dans leur cœur, à penser à Lui, à y retourner s’en trouvant distraits, à tout faire et tout souffrir à dessein de Lui plaire, c’est les appliquer à la source de toutes les grâces et leur y faire trouver tout ce qui est nécessaire pour leur sanctification.
6. Vous êtes conjurés, ô vous tous qui servez les âmes, de les mettre d’abord dans cette voie, qui est Jésus-Christ ; et c’est Lui qui vous en conjure par tout le sang qu’Il a répandu pour ces âmes qu’Il vous a confiées. Parlez au cœur de Jérusalem. O dispensateurs de ses grâces, ô prédicateurs de sa parole, ô ministres de ses sacrements, établissez son Royaume ; et pour l’établir véritablement, faites-le régner sur les cœurs ! Car comme c’est le cœur seul qui peut s’opposer à son empire, c’est par l’assujettissement du cœur que l’on honore le plus sa souveraineté. Rendez gloire à la sainteté de Dieu, et Il deviendra votre sanctification. Faites des catéchismes particuliers pour enseigner à faire oraison, non par raisonnement ni par méthode (les gens simples n’en étant pas capables), mais une oraison de cœur et non de tête, une oraison de l’Esprit de Dieu et non de l’invention de l’homme.
7. Hélas ! On veut faire des oraisons étudiées ; et pour les vouloir trop ajuster, on les rend impossibles. On a écarté les enfants du meilleur de tous les pères pour avoir voulu leur apprendre un langage trop poli. Allez, pauvres enfants, parler à votre Père céleste avec votre langage naturel : quelque barbare et grossier qu’il soit, il ne l’est point pour Lui. Un père aime mieux un discours que l’amour et le respect met en désordre, parce qu’il voit que cela part du cœur, qu’une harangue sèche, vaine et stérile, quoique bien étudiée. O que de certaines oeillades d’amour le charment et le ravissent ! Elles expriment infiniment plus que tout langage et tout raisonnement.
8. Pour avoir voulu apprendre à aimer avec méthode l’amour même, l’on a beaucoup perdu de ce même amour. O qu’il n’est pas nécessaire d’apprendre un art d’aimer ! Le langage d’amour est barbare à celui qui n’aime pas ; mais il est très naturel à celui qui aime. Et on n’apprend jamais mieux à aimer Dieu qu’en L’aimant. En ce métier, souvent les plus grossiers deviennent les plus habiles, parce qu’ils y vont plus simplement et plus cordialement. L’Esprit de Dieu n’a pas besoin de nos ajustements. Il prend quand il Lui plaît des bergers pour faire des prophètes. Et bien loin de fermer le palais de l’oraison à quelqu’un, comme on se l’imagine, il en laisse au contraire toutes les portes ouvertes à tous, et la Sagesse a ordre de crier dans les places publiques : Quiconque est simple, vienne à moi. Et elle a dit aux insensés : Venez, mangez le pain que je vous donne, et buvez le vin que je vous ai préparé. Jésus Christ ne remercie-t-Il pas son Père de ce qu’Il a caché ses secrets aux sages, et les a révélé aux petits ?
Moyen court et facile de faire oraison. Madame Guyon (ePub)