Être crucifié est une chose. Mais l’esprit dans lequel on porte cette croix en est une autre. L’acte en lui-même peut être bref et accompli en un moment, mais la disposition intérieure du cœur, elle, dure toute une vie. C’est un principe spirituel qui s’élargit avec le temps, se déploie dans toutes sortes de situations, et gagne en intensité jusqu’au bout.
Ce secret spirituel de la croix, cet esprit d’abandon profond, ne peut pas être défini par des mots. On ne peut que l’évoquer. Il s’agit d’un état du cœur, d’une réalité intérieure trop subtile, trop vivante pour être enfermée dans un discours. Si nous pouvions entrevoir l’âme de Jésus entre le dernier repas et sa mort sur la croix, et percevoir, par révélation, tout ce qu’il a ressenti : ses pensées, ses sentiments, son amour, ses élans de compassion, la douceur de son obéissance… alors nous comprendrions ce que signifie porter la croix avec la même attitude que lui.
De nombreux croyants ont, à différents degrés, reçu cette révélation intérieure de ce que Jésus a vécu dans son âme. Mais une telle lumière ne peut venir que du Saint-Esprit, car elle dépasse complètement la raison humaine et l’imagination naturelle. Et plus nous saisissons ce secret spirituel de la croix, plus nous sommes rendus capables, à notre mesure, de souffrir, de donner notre vie, et même de mourir intérieurement avec la même disposition que Jésus.
L’esprit paisible
C’est un esprit silencieux. Il souffre sans faire connaître ses douleurs. Il peut être réprimandé, critiqué, incompris, mal interprété, bloqué, humilié de mille manières… et pourtant, il ne gémit pas. Il ne répond ni par une plainte, ni par un geste, ni par la moindre parole d’irritation ou d’imprudence (1 Pierre 2.23).
Il a accepté avec calme la mort à soi-même. Il peut recevoir mille petits cadeaux ou trésors, mille plaisirs innocents ou espérances bienveillantes, puis les voir disparaître soudainement, arrachés de sa main, sans s’y accrocher. Il peut obéir à Dieu et s’élancer à toute vitesse dans une œuvre, puis, au simple signal de la Providence, s’arrêter net, sans résister, sans protester, sans secouer la moindre parcelle de sa volonté. Tout en lui reste en paix, parfaitement reposé en Jésus.
L’esprit disponible
C’est un esprit libre, qui ne s’accroche à aucun plan personnel. Il peut être envoyé dans n’importe quelle direction par le doigt de Dieu, sans avertissement. Il peut entrer dans une prison ou dans un palais, dans une hutte ou sur un trône, avec la même aisance et la même paix. Il suit les mouvements de la pensée divine, comme un nuage léger porté par les vents du ciel. Il peut porter des vêtements usés, manger une nourriture simple et sans éclat, avec reconnaissance et douceur dans le cœur. Il ne convoite rien. Il ne nourrit aucune envie pour les belles choses que possèdent les autres. Il regarde les honneurs, les plaisirs, la connaissance, la culture et toutes les splendeurs de ce monde avec un regard tranquille, presque secret, et une forme de joie discrète mêlée de détachement. Il méprise intérieurement ce que tant d’autres désirent ardemment obtenir.
Pourquoi ? Parce qu’il voit déjà un peu du ciel. Il est fasciné par la grandeur des gloires à venir. Alors même ce que le monde trouve beau et honorable lui semble fade, presque laid, en comparaison. La croix rude, qui effraie tant de chrétiens, est embrassée par cet esprit avec une joie secrète, délicate. Car il sait que toute souffrance viendra élargir son cœur, et en adoucir l’amour. Ce que d’autres fuient par peur ou inconfort, lui l’accueille comme une occasion d’être uni plus intimement à Dieu.
Il aime ses ennemis d’un amour doux, tendre, profond, que les autres auraient du mal à croire possible. Il peut être blessé, piétiné, réduit au silence — et pourtant il répond avec un regard embué de larmes, une bouche tremblante, un baiser, une prière sincère pour celui qui, sous couvert de devoir religieux, l’écrase.
Il ne reçoit pas les honneurs humains pour lui-même. S’il est loué ou reconnu par d’autres, il n’en fait pas un régal pour son âme. Il le remet aussitôt au Seigneur, comme l’ange l’a fait avec le repas offert par Manoach. Ce qui le réjouit le plus, c’est de s’enfoncer en Dieu et de devenir petit. Il aime s’humilier, devant Dieu comme devant les hommes. Il fuit les controverses, les disputes et les querelles de doctrine.
L’esprit humble
Il est discret et modeste. Il aime se retirer, se faire tout petit pour laisser Dieu agir librement. Il ne force pas les autres à porter son sac de cendres.
Quand l’âme entre dans la sanctification, ce n’est que le commencement d’un chemin. Cet esprit d’humilité est appelé à grandir, à s’intensifier, à s’illuminer… jusqu’à ce que la vie crucifiée devienne comme une flamme ardente de renoncement, qui embrasse toutes sortes de douleurs, d’épreuves, de pauvretés, d’humiliations, comme un feu vif prend des bûches encore humides et en tire un bois nouveau pour alimenter l’amour sacrificiel.
Il ouvre la porte du ciel… sans même la toucher.
C’est cet esprit qui épuise la patience des persécuteurs, qui attendrit les cœurs de pierre, qui finit par transformer les ennemis en amis. C’est lui qui touche le cœur des pécheurs, qui franchit mille obstacles, qui déjoue la ruse du diable, et qui rend l’âme qui le porte aussi précieuse aux yeux de Dieu que la prunelle de Ses yeux.

G.D. Watson (1845–1924) était un prédicateur méthodiste et écrivain évangélique américain, connu pour ses écrits profonds sur la sainteté, la vie intérieure et l’union avec le Saint-Esprit. Son ministère a inspiré des milliers de croyants à rechercher une communion plus intime avec Dieu.